Un mois après la bulle médiatique de SeaFrance, ses approximations, ses amalgames et les réactions politiques qu’elle a pu susciter, on a encore du mal à se représenter concrètement le déroulement effectif d’une Reprise d’Entreprise par les Salariés.
Imaginons le cas, malheureusement trop classique, d’une entreprise abandonnée à son sort par ses actionnaires qui la jugeait trop peu rentable. A l’annonce de la fermeture de l’unité de production rhônalpine, les voix s’élèvent, et les revendications sont nombreuses. Mais au-delà de l’indignation, une idée fait son chemin. Celle d’une reprise d’entreprise par les salariés en SCOP, portée par un des salariés menacés, dont un ami a transmis sa propre entreprise à ses salariés. Peu à peu, le collectif se forme autour de cette idée, évalue les possibles marchés et les ressources nécessaires. L’ensemble des cadres est mobilisé, les commerciaux sont à pied d’œuvre, alors que l’Union régionale des SCOP est contactée.
C’est ici que se joue la suite du projet : les consultants spécialisés de l’Union Régionale présentent plus en détail les spécificités d’une Société Coopérative et Participative (SCOP). Séduits par la participation de l’ensemble des salariés aux décisions de l’entreprise sur un modèle démocratique, et par une redistribution des bénéfices basée sur la valorisation du travail et la préservation de l’outil de production, les derniers sceptiques rallient le collectif. Mais les délais sont courts pour monter un dossier de reprise. Les dates limites de dépôt auprès du tribunal approchent, et il s’agit de présenter un projet convaincant à tous les points de vue.
En commençant par établir des prévisions économiques raisonnables. Sans certains pré-requis concernant la rentabilité de l’entreprise, rien n’est possible. Ici, les clients potentiels semblent répondre favorablement au projet de SCOP, et le prévisionnel est bon. Reste à savoir quelles seront les ressources nécessaires pour la mise en place de la société, et plus particulièrement les fonds apportés par les salariés eux-mêmes. Car une SCOP, c’est avant tout une entreprise qui appartient à ses salariés. Et ce statut de salarié-associé implique une participation de chacun au capital de l’entreprise. Dans ce cas précis, l’investissement représente environ deux mois de salaire par personne. Une somme qui paraît élevée à certains, considérée comme une aubaine par d’autres. Les uns prennent dans leurs économies, les autres contractent un prêt. Le tour de table financier est bouclé lors d’un comité d’engagement réuni en urgence, impliquant tous les outils financiers propres au mouvement coopératif. La sollicitation du fonds régional Transméa s’avère décisive, intervenant de façon minoritaire en fonds propres et garantissant une assise particulièrement solide au dossier. Qui a pu être remis à temps grâce à la mobilisation exceptionnelle d’un collectif soudé, bien accompagné par les experts de l’Union Régionale des SCOP, et soutenu par un réseau de partenaires efficaces (Crédit Coopératif, Région Rhône-Alpes, Macif, La Nef, Socoden, SEP ou encore la Caisse des Dépôts et Consignations).
Une fois le dossier retenu, et la reprise sur les rails, l’avenir de la SCOP réside entre les mains de son équipe. Lors de l’Assemblée Générale inaugurale, le nouveau dirigeant (anciennement cadre commercial dans la société) est élu à l’unanimité par l’ensemble des salariés. Il pourra solliciter l’Union Régionale tout au long de l’existence de la SCOP, et bénéficier du conseil d’une équipe de consultants dédiés, sur toutes les questions opérationnelles, juridiques…
Cette reprise d’entreprise par les salariés a permis la sauvegarde de dizaines d’emplois, a donné un nouvel élan et une place décisive aux salariés, dont le travail s’inscrit désormais dans un véritable mouvement collectif.